PRODUCTEURS , SAUVONS-NOUS NOUS-MEMES !
Michel Peyret
« La fin du monde » , a lancé
Sarkosy à Lyon . « Le commencement du monde » ,
avait écrit Jean-Claude Guillebaud sans attendre qu'une crise financière
explose pour décrypter des évolutions en profondeur marquées
par la doxa néo-conservatrice américaine , le règne de
la géofinance , la dilution du « principe d'humanité »
, cet individualisme possessif de masse qui nous a fait manquer la chance historique
qu'offrait voilà vingt ans l'implosion de l'Empire soviétique
et qu'offrent toujours des évolutions technologiques qui serviraient
un progrès véritable si nous avions pris conscience à temps
que bien des progressions sont des régressions . »
Je ne partage pas tout de ce début d'exposé que fait Daniel Riot
mais sa dialectique m'apparait de grande portée . Nous avons déjà
fait l'expérience de ce que les annonces de « fin de l'histoire »
ne pouvaient correspondre à aucune réalité sinon à
des fins idéologiques destinées à justifier la perduration
du système capitaliste et à l'inscrire dans l'éternité
politique et économique de l'humanité .
DE VRAIES ET DE FAUSSES CONTRADICTIONS .
Depuis , d'ailleurs , d'autres se sont essayés à
créer de fausses oppositions afin de laisser penser que d'autres contradictions
travailleraient le monde a contrario des énoncés du marxisme relatifs
à celles caractérisant les rapports entre bourgeois et prolétaires
.
Ainsi Daniel Riot évoque-t-il « l'imbécile prédiction
ravageuse du « choc des civilisations » qui , avec « la
fin de l'histoire » , constituent « deux des piliers »
de la défaite de la pensée dite « occidentale »
contemporaine . » . Voilà quinze ans , dit-il , que le professeur
Huntington nourrit , par sa perfide « défaillance de l'intelligence »
, des conflits , des guerres , des politiques , des réflexes orchestrés
par le « tintamarre des propagandes » . Et , évoquant
le travail de Guillebaud , il considère qu'il était temps « de
détricoter sérieusement ces thèses qui ont fait le bonheur
d'un hypercapitalisme déshumanisant , en folie et de politiques liberticides
. Des thèses exploitées en partie grâce aux retombées
de ce « nouveau sac de Rome » que fut l'effondrement des
tours du Wordl Trade Center et l'attaque du Pentagone ... » . Un
effondrement survenu suffisamment opportunément pour justifier les doutes
, sinon les certitudes de certains , quant à la nature et à l'identité
réelle des instigateurs d'un événement destiné à
impressionner puissamment l'opinion publique mondiale et à permettre
ainsi l'enclenchement de guerres qui se confirment sans issue tandis que leurs
financements se révèlent exhorbitants , Stiglitz n'a-t-il pas
estimé à trois mille milliards le coût de l'engagement en
Irak , milliards récupérés pour leur plus grande part par
le complexe militaro-industriel étanusien .
LE MONDE DOIT CHANGER DE BASES.
Il y a déjà quelques années , le PDG d'axéA
, Claude Bébéar , parlant de ses confrères constatait avec
effarement : « Ils sont devenus fous ! ». De toute évidence
, la folie s'est accentuée au fil du temps et généralisée
jusqu'à ce que le système fasse eau de toute part . La financiarisation
forcenée dénoncée par Bébéar , dans ses formes
les plus infinies et les plus indéfinies , les plus alambiquées
et les plus éloignées de toute vie économique concrète
et encore plus sociale , connait un « atterrissage » prévisible
:c'est la crise !
Pour Frédéric Lordon , dans L'Humanité , « la
crise présente se distingue de la série des crises financières
ouverte depuis deux décennies de dérèglementation en cela
que , comme aucune autre auparavant , elle signale l'arrivée aux limites
du régime d'accumulation en vigueur . Le capitalisme de dérèglementation
à dominante financière est structurellement à basse pression
salariale du fait des contraintes combinées de la concurrence et de la
rentabilité actionnariale .
Ne restent que deux moyens de solvabiliser la consommation – 70% de la
demande finale -... l'allongement de la durée du travail et l'endettement
des ménages . Pour avoir poussé la deuxième « solution »
à d'invraisemblables extrémités , la forme actuelle du
capitalisme étasunien périt , mais par la finance , de ses contradictions
générales . »
Et Frédéric Lordon poursuit logiquement : « Ramener
la finance à la raison ne fait donc qu'une partie du chemin : il n'y
a pas de solution cohérente hors d'une refonte complète des structures
économiques – celles de la concurrence et du marché du travail
démantelé – qui , en dernière analyse , ont donné
naissance au problème . »
Certes : mais , dit Frédéric Lordon , rien de tout cela ne fait
sortir du capitalisme -juste passer d'une configuration à une autre –
N'y a-t-il donc rien de pensable « au-delà » ?
Comme Guillebaud , il évoque « l'individualisme »
dans lequel il y a « l'égalité en dignité des
hommes » , laquelle , « bafouée partout , est pourtant
dans les têtes comme idéal »... « Aussi
faut-il la rappeler sans cesse pour tracer deux lignes d'horizon :
1.qu'une chose dont l'usage affecte profondément une multitude d'autres
soit la propriété d'un seul , cela n'est pas tolérable
;
2.les rapports d'autorité hiérarchiques dans l'entreprise sont
médiévaux : les producteurs associés doivent être
pleinement maîtres de leur destin collectif . »
POUR QUE LE VOLEUR RENDE GORGE .
Depuis , la « crise » a explosé
, proche de semer la panique . Elle s'est transformée en ajoutant à
ses agitations initiales l'embourbement significatif du monde politique washingtonien
. Et puis , le 25 septembre , est venue , du côté français
et du côté allemand , une déclaration de guerre contre le
capitalisme tel que nous le connaissons .
« Il est évident , dit-on à De Defensa , que le discours
de Sarkosy a touché un nerf capital , dans tous les cas au Financial
Times , et déclenché une fureur épouvantable quoique dissimulée
dans ses excès , parce que l'on sait se tenir... Il n'est pas assuré
que Sarko ait été heureux , dans l'instant , du bouleversement
auquel l'histoire le contraint...Le chevalier blanc qui allait transformer la
France en fleuron néo-libéral s'est mué en chevalier tout
aussi blanc déchaînant l'affirmation contre-offensive de la fureur
française , dirigiste , colbertiste , contre ceux qui ont installé
le plus formidable foutoir que l'histoire ait jamais pu mettre en scène...
Qu'importe , on connait la mécanique sarkozienne . La cause importe moins
que l'énergie qu'elle permet de développer ; la pensée
n'est jamais qu'un faire-valoir de l'action . Puisque l'histoire a tranché
, Sarko s'aligne . Puis il fonce . Il y mettra autant de rage qu'il en mit à
proclamer le changement dans les sens néo-libéral...
NI DIEU , NI CESAR , NI TRIBUN .
De toute évidence , ce n'est pas sur Sarko que l'on
peut compter « pour que le voleur rende gorge » quel que
soit le fracas qui a résulté de ses discours .
Peut-on compter pour autant sur les autres forces politiques qui ont conduit
la France ces dernières décennies qui ont connu la succession
de majorités et de gouvernements de « droite »
, de « gauche » ou de « cohabitation »
?
Poser la question est y répondre !
A l'évidence , le modèle de démocratie représentative
qui a accompagné la gestion du capitalisme n'est jamais parvenu à
enclencher le processus de changement de société . Par contre
, il est parvenu à l'enrayer , à le stopper quand le mouvement
populaire en exprimait l'exigence comme cela a été le cas à
la Libération , en mai 68 ou en 1981 .
Et sans parler du résultat du référendum de mai 2005 laissé
en friches de nouveau , nouvelle expérience de ce que ses exigences pouvaient
être enterrées dans une sorte de conjonction de la quasi-totalité
des forces politiques se retrouvant pour ne pas donner les prolongements attendus
, espérés , à cette forme d'insurrection populaire qu'exprimait
le NON majoritaire contre les préconisations du monde politique . Tout
cela débouchant, à l'encontre des attentes , à ce qui aurait
pu constituer une farce de la Comedia d'el Arte si cela n'avait été
la mise en scène tragique de l'élection présidentielle
.
Et je regrette de ne pas être capable d'exprimer aujourd'hui ce que je
ressens quand je lis dans Bellaciao cette supplique pathétique d'un militant
communiste , qui signe Baboeuf42 , un article intitulé : « La
crise prend de l'ampleur , le PCF doit réagir » et où
il déclare : « Il me semble que le parti communiste se doit
d'intervenir et d'éclairer les gens . »
Et c'est un autre militant communiste qui montre que l'intervention du gouvernement
, la régulation plus sévère des monopoles et des pratiques
plus « prudentes ne peuvent surmonter la contradiction fondamentale
du capitalisme : la propriété privée des moyens sociaux
d'une production mondialisée . C'est une contradiction irréconciliable
qu'une infime minorité contrôle la production de la richesse mondiale
à son propre profit . C'est une contradiction irréconciliable
que cet appareil mondial s'arrête de fonctionner quand il y a une crise
de profitabilité pour les patrons . Cette crise surgit toujours , tôt
ou tard , en raison de l'anarchie capitaliste... »
LE GRAND PARTI DES TRAVAILLEURS
Il est également d'autres évidences . Ainsi ,
Philippe Jurgensen , qui lui n'est pas communiste , faisant récemment
le constat que la politique monétaire de la BCE , plus restrictive que
ne l'impose l'inflation sous-jacente somme toute encore modérée
, à contre-courant de ce qui serait souhaitable en contribuant à
la hausse de l'euro , à l'insuffisance des investissements et à
un niveau du chômage trop élevé : plus de 7% pour la moyenne
européenne , près de 8% en France . « Cette situation
, poursuit Philippe Jurgensen , n'est pas anodine sur le plan politique . On
peut y voir une des causes de la montée de l'extrème-droite dans
la plupart des pays d'Europe . On ne peut qu'être consternés ,
en tout cas , de découvrir qu'elle conduit à des réactions
de rejet de l'économie de marché elle-même . »
Et il fait part d'un sondage , initié par l'Université du Maryland
, qui indique que seulement 36% des Français seraient favorables à
la libre entreprise et à l'économie de marché . Philippe
Jurgensen le regrette : « C'est , malheureusement pour nous , le
plus faible taux mondial . »
D'autres données viennent cependant donner consistance à l'existence
de ce « grand parti des travailleurs »en dehors des résultats
mêmes du référendum ,récusation des politiques et
liberticides européennes .Une étude d'opinion , de fin 2005 ,
venait confirmer ces constatations : 61% des Français , davantage encore
s'agissant des jeunes , considéraient le capitalisme comme négatif
. Pourquoi ne pas leur demander à nouveau leur opinion aujourd'hui ?
Pour qui veut bien y réfléchir : il y a dans ces études
concordantes de quoi alimenter la réflexion et l'activité de forces
politiques qui voudraient oeuvrer à mettre fin au capitalisme dans notre
pays comme ailleurs .
Dès lors , comment interpréter le refus de s'y prêter sinon
comme un refus d'ordre plus général , celui d'une volonté
qui consiste à considérer que « le grand parti de travailleurs »
aurait tort de vouloir se sauver lui-même et que la délégation
de pouvoir qu'il donne , ou a donné , à l'occasion d 'élections
ou de référendums , est faite pour être violée !
Sans doute , ce constat-là est-il significatif d'un déni qui ne
devrait pouvoir se prolonger plus avant si ce « grand parti »
veut réellement s'assigner les objectifs que les auteurs du Manifeste
communiste lui assignaient : « L'émancipation des travailleurs
doit être l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes . »
« Mais , disaient ces auteurs , toute lutte de classe est politique
. Et l'union que les bourgeois du Moyen-Age mettaient des siècle à
établir avec leurs chemins vicinaux , les prolétaires modernes
, avec leurs chemins de fer , la réalisent en quelques années
. Cette organisation du prolétariat en classe et donc en parti politique
, est sans cesse détruite par la concurrence que les ouvriers se font
entre-eux . Mais elle renait toujours , toujours plus forte , plus solide et
plus puissante... »
Et afin qu'il n'y ait plus d 'équivoque , ils ajoutaient : « Quelle
est la position des communistes par rapport à l'ensemble des prolétaires
? Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres
partis ouvriers . Ils n'ont point d'intérêt qui les séparent
de l'ensemble du prolétariat . Ils n'établissent aucuns principes
particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier... »
Je pense que nous aurons l'occasion d'y revenir !
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